MAME MACTAR GUEYE, VICE-PRESIDENT DE L’ORGANISATION ISLAMIQUE JAMRA
« Les victimes sont presque laissées à leur propre sort »
mercredi 24 juillet 2013La lutte contre l’alcoolisme est un des fers de lance de l’Organisation islamique Jamra. Mame Mactar Guèye, le vice-président de l’organisation, nous livre sa vision de l’alcoolisme et de l’action des autorités.
D’après les informations que vous détenez, y-a-t-il une augmentation du taux d’alcoolisme ?
Selon l’Oms, l’alcool tue chaque année 2,5 mil- lions de personnes dans le monde ! Et ce, par le biais de maladies directement liées à la consommation excessive d’alcool, comme les cirrhoses du foie, les cancers, les maladies cardiovasculaires et autres. C’est dire que l’alcoolisme tue plus que le paludisme et le Sida réunis ! Et ce sont les hommes qui ravis- sent la vedette aux femmes. Sur 6 décès dus à l’alcoolisme, 5 sont des mâles, selon l’Oms.
Êtes-vous satisfait de l’action de l’Etat dans la prise en charge des victimes de l’alcoolisme ?
Les victimes sont presque laissées à leur propre sort. Il n’est pas donné à n’importe quel- le famille de débourser entre 400 et 500 mille francs Cfa pour financer une cure de désintoxi- cation. C’est pour cela que des organisations sans subventions, comme la nôtre, ont sou- vent recours à la sollicitation de mécènes, pour venir en aide à des familles indigentes devant désintoxiquer un des leurs. C’est pour cela que Jamra n’a de cesse de suggérer à l’Etat de créer une caisse spéciale, alimentée par les différentes amendes infligées aux débits clan- destins et les taxes sur les produits alcoolisés, pour financer gratuitement les cures de désin- toxication des victimes. D’autant qu’en cas d’intoxication chronique, de forte dépendance physique, avec ses douloureuses phases de « manque », la cure de désintoxication doit impérativement se faire sous surveillance médicale stricte, dans un centre hospitalier, où le patient devra subir en parallèle un traitement médicamenteux d’appoint. Mais l’étape la plus délicate reste la phase de sevrage, pendant laquelle le patient doit éviter d’être confronté aux facteurs exogènes qui lui avaient valu d’aller chercher une échappatoire dans l’alcool. Et c’est là que le rôle de la famille et de l’entourage immédiat est capital, pour aider l’ex-alcoolique à réussir sa reconversion.
La loi est elle efficace au sujet de la vente d’alcool ?
La loi dit que pour ouvrir un débit de boisson il faut s’adresser à la sous-préfecture, la préfecture ou la gouvernance sous la juridiction des- quelles relève le site où l’on veut implanter le débit de boisson. Or, que voyons-nous ? Des gens qui vont, avec le « système D » bien connu des Sénégalais, contourner allégrement toute la hiérarchie, pour aller décrocher ailleurs une autorisation en bonne et due forme. Nous avons eu à le constater nous- mêmes, à l’occasion de la campagne que Jamra a menée contre une fabrique de dosettes de sachets de jus alcoolisés, en juin 2011. On avait pendant longtemps supposé dans l’opinion que ces dosettes alcoolisées, accessibles à tous, commercialisées aux abords des écoles, au prix modiques de 100 francs, étaient importées. Après quatre mois d’investigation, Jamra avait pu prouver que c’était ici, au Sénégal, précisément à Rufisque, que ces maudits breuvages étaient condition- nés. D’après l’enquête de Jamra, les exploitants de cette fabrique de sachets d’alcool dis- posaient d’une autorisation en bonne et due forme. Et nous pûmes découvrir que ni le Préfet, ni le Maire, n’étaient impliqués dans la délivrance de ce sésame. Alors, question à mille dosettes : qui protégeait le fabriquant de ce breuvage qui poursuivait allégrement ses activités destructrices, au vu et au su de tous ? Il est temps de mettre un terme à l’ « Omerta » et d’avoir comme souci premier la protection de la santé mentale et morale de nos enfants.
Qu’a fait l’Etat vis-à-vis de la vente illégale de sachets de boissons alcoolisées, à bas prix ?
Il y a seulement trois mois, on trouvait facile- ment sur le marché de nouvelles boissons conditionnées dans des emballages gadgétisés, vendues à des prix défiant toute concurrence (100 francs Cfa). Ces conditionnements au contenu douteux, mais dont le trait commun est d’empester l’alcool (comme le « Salañ Salañ » ou le « Namp-bi »), étaient en train d’acquérir leurs lettres de noblesse auprès d’une certaine jeunesse, dont ces marchands de mirages semblent avoir pris le parti de détruire tout repère. En ciblant cette tranche d’âge, les alcooliers semblaient avoir un objectif évident : celui de conditionner de futurs ivrognes, fidéliser en amont une clientèle potentielle, qui viendra peupler les débits de boissons. Mais, Jamra a fait un tel raffut, pour dénoncer le mercantilisme de ces industriels uniquement préoccupés à se remplir les poches, en détruisant nos enfants, que « Salañ-Salañ » et « Namp-bi » ont fini par être retirées du marché. Néanmoins, ces dosettes ont refait de timides réapparitions au début de cette année, à Thiès puis à Louga, sous le nouveau label de « Jakarta » - le contenu étant resté le même - toujours vendues à proximité des écoles. Mais lorsque Jamra a de nouveau repris sa tournée de dénonciation, les pouvoirs publics se sont alors résolus à prendre le problème à bras-le-corps. Pour en interdire tout bonnement la vente sur tout le territoire national, à la plus grande satisfaction des parents d’élèves et des éducateurs.
Quelles mesures doivent être mises en place pour limiter les ravages de l’alcoolisme ?
L’interdiction de la publicité sur l’alcool a atteint ses limites, il me semble. A présent, il y a sur- tout lieu d’augmenter les taxes. Jamra s’est toujours battu, et continuera à se battre, pour que les taxes tirées de l’importation, de la vente et de la consommation d’alcool soit reversées dans un fond commun, pour servir à financer les cures de désintoxication des alcooliques et des toxicomanes. D’autant que ces victimes sont souvent issues de quartiers populaires frappés par l’indigence et la précarité. Ces familles ne peuvent supporter les charges liées aux cures de désintoxication. L’Etat doit s’impliquer. C’est un problème de santé publique, voire de sécurité publique. Car un intoxiqué (par l’alcool ou la drogue, peu importe) est un potentiel vecteur de progression de la criminalité.
Propos recueillis par Aminata Dème SATHIE
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